Né le 18 août 1907 à Odessa, mort à Paris le 11 février 1984. Arrivé en France le 4 octobre 1921 au Quai de la Joliette à Marseille... Devenu parisien en 1923, il entre au lycée Buffon et il y fait ses premiers pas au théâtre en compagnie notamment de Fernand Lumbroso et d’Arthur Adamov qui donne à leur troupe amateur le nom des « Virgules bleues ». Après un court passage à l’école des Arts décoratifs et un premier décor au théâtre de l’Oeuvre, il fait son apprentissage de peintre aux studios de la Victorine à Nice puis aux studios de Billancourt. A Marseille, en 1934, il fait la connaissance des animateurs du « Rideau gris », Louis Ducreux et André Roussin et débute avec eux une collaboration qui le mène d’abord à l’Exposition universelle de Paris en 1937 avec L’inconnu d’Arras d’Armand Salacrou puis à Lyon en 1941 quand Charles Gantillon invite « Le Rideau gris » à devenir compagnie permanente des Célestins sous le nom de « Comédie de Lyon ». Aux Célestins, Wakhévitch monte aussitôt un atelier de menuiserie et de peinture et réalise une série de décors pour Fantasio, Le carrosse du Saint-Sacrement, Le barbier de Séville, Les fourberies de Scapin... Une belle gouache de grand format - 47x66 cm - qui représente la place du 1er acte du Barbier de Séville, vendue à l’hôtel Drouot en 1985, donne une très juste idée de l’art du décor de Georges Wakhévitch.
Très présent à Lyon, Wakhévitch ne s’y fixe pourtant pas. Les activités cinématographiques de La Victorine l’appellent. Il travaille pour Renoir - La grande illusion, pour Carné - Les visiteurs du soir, Les enfants du paradis, Cocteau et Delannoy - L’éternel retour... « Le Rideau gris » ne s’attarde pas non plus à Lyon. Dès 1942, ses directeurs, Ducreux et Roussin, sont à Paris au Vieux-Colombier. Aux Célestins, Charles Gantillon se met à la mise en scène et fait évoluer la Comédie de Lyon avec son assistant Jacques Barral. Pour le Festival Lyon-Charbonnières 1952, Charles Gantillon fait appel à Georges Wakhévitch qui est maintenant le décorateur de Jean Cocteau et de Paul Claudel, de la Comédie Française et du Covent Garden, et du tout jeune Peter Brook pour le Boris Godounov de Pouchkine et Moussorgski. Artisan hors pair réputé pour sa maîtrise des chantiers, peintre en trois dimensions de mondes à la fois réalistes et magiques, artiste qui aime à remplir l’espace alors qu’en Avignon Jean Vilar et le peintre Léon Gischia travaillent sur l’architecture abstraite du vide, Wakhévitch prend en main Fourvière, son théâtre et ses jardins et assure le succès d’Amphitryon en 1952, de La princesse d’Élide en 1953, du Sicilien et des Fourberies de Scapin en 1955, du Songe d’une nuit d’été en 1957... En 1977, dans L’envers des décors publié chez Robert Laffont, Georges Wakhévitch raconte sa vie et son métier, un ouvrage précieux pour qui cherche à comprendre comment évolue l’art théâtral, de l’entre-deux guerres à l’après-guerre, et qui contient quelques belles pages sur le Lyon de l’Occupation.
« Charles Gantillon, le nouveau directeur des Célestins, nous achète. Désormais le Rideau Gris de Marseille sera « La Comédie de Lyon ». Comment serions-nous accueillis entre Saône et Rhône ? Que trouverions-nous dans ce vieux théâtre où régna, pendant un quat de siècle, ou plus, un des plus prestigieux directeurs de théâtre français, M. Montcharmont ? C’était, il est vrai, un homme au goût académique et qui avait su donner aux Lyonnais un théâtre fait à sa façon, que je qualifierais de très commercial et diamétralement opposé à celui du Rideau Gris. Pour moi il était clair que Ducreux ne ferait que continuer sa propre ligne de conduite sur le plateau des Célestins. Quant au nouveau directeur, nous ne le connaissions pas encore. Il se révéla par la suite que nous avions affaire à un homme fort cultivé, intelligent et très volontaire. Il se sépara plus tard de Ducreux, après avoir fait à ses côtés un rapide apprentissage de meneur d’acteurs, et il vola de ses propres ailes, ce qui était tout à fait dans l’ordre des choses.
Lorsque nous arrivâmes aux Célestins, ma première constatation fut que nous manquions de personnel de construction, de décoration et d’ateliers. Le personnel qui s’y trouvait était seulement habitué à recevoir les troupes parisiennes en tournées qui étaient accompagnées de tout leur propre matériel de décors, de costumes et d’accessoires. Dans cette vieille maison, tout était à faire, à crée, à organiser. Il fallut former et entraîner l’ancien personnel aux nouvelles méthodes de travail. Il fallait surtout convaincre l’administrateur. C’était la sœur de Charles Gantillon, une dame très lointaine, peu accueillante au premier abord mais qui, après quelques jours, comprit parfaitement quel était notre but et, en femme intelligente et active qu’elle était, collabora très vite avec les « Marseillais » en nous laissant faire de l’excellent travail. Grâce à la compréhension de Mme. Ribeyrolle, j’ai réussi à faire venir du studio de La Victorine, à Nice, mon équipe favorite de menuisiers et de machinistes. En peu de temps, ils construisirent les décors pour les premières pièces du répertoire : Fantasio, Le Carrosse du Saint-Sacrement, Le Barbier de Séville, Les Fourberies de Scapin. J’ai formé un atelier de peinture et le résultat de tous ces efforts fut inespéré : le public lyonnais découvrit en 1941 un théâtre vivant qui n’avait rien à envier à celui qui régnait sur les meilleures scènes parisiennes d’avant-guerre.
Lyon devint capitale intellectuelle, grâce à une élite locale qui prit conscience de son existence, grâce à l’aiguillon d’un grand nombre de Parisiens qui appartenaient au monde des arts et des lettres et s’étaient repliés dans le Sud. Ils ne voulaient pas ou ne pouvaient pas repasser la ligne de démarcation. Ils restaient à Lyon dans l’attente de temps meilleurs. D’ailleurs, plusieurs journaux parisiens reparaissaient à Lyon et, malgré le désastre qui avait si durement touché le pays, ces Français voulaient que l’esprit vive.
Il serait fastidieux que je raconte toutes les difficultés que nous avons eues à surmonter, comment nous avons trouvé du bois, des clous, des toiles, des couleurs, de la colle, des pinceaux. Tout manquait ! Bien français et impossible en même temps qu’impensable dans un autre pays, le système D nous sauva tout au long de ces années d’occupation et nous permit de travailler tant au cinéma qu’au théâtre.
Mais moi je ne suis pas resté bien longtemps à Lyon. Je repartis pour La Victorine... »
Georges Wakhévitch, L’envers des décors Editions Robert Laffont, Paris 1977
L’univers magique de Georges Wakhévitch, Catalogue de l’exposition du Château de Gaillon, 16 juin-16 septembre 1984