Grand Théâtre Romain

Festivals De 1946 à 2006

« Notre ville veut, elle aussi, participer au grand cirque parisien de l’Exposition [1937]. Elle organise à Lyon même, du 6 au 13 juin, une semaine d’attractions destinée à attirer dans notre cité la foule des étrangers venus dans la capitale. Illusion bien sûr. Bon prétexte tout de même. Pour ce faire, on a mobilisé toutes les forces vives du théâtre, de la musique et des arts : les grands Concerts, le Trigentuor, les Chanteurs de Lyon, Ninon Vallin, Georges Thil, Jean Witkowski, Bourmauck, Giriat, la Comédie Française jouant L’étourdi de Molière dans la cour d’honneur de l’Hôtel de Ville, un spectacle au théâtre romain. Bref, un pré-festival. Tout ne se passa pas exactement comme prévu, amis en ce juin très chaud, l’enthousiasme se maintint à la hauteur du thermomètre. Cet assemblage était si neuf, ces lieux scéniques si inattendus, qu’il y eut foule partout. Un essai réussi. » Robert de Fragny, « 50 ans de vie culturelle à Lyon », Editions SME - Résonances, Lyon, 1982

« Si Édouard Herriot ne nourrissait pas une passion immodérée pour son Grand Théâtre et ses Célestins, ne leur accordant que très chichement les moyens de vivre, il prit littéralement feu lorsque les bonnes sœurs de la Compassion lui signalèrent qu’elles avaient trouvé dans leur clos des cheminements pavés de marbre et de mosaïques.

Aussitôt, cent terrassiers furent dépêchés aux fins de déblaiement de ce que les archéologues Fabia et Germain de Montauzan considéraient comme une découverte d’un prix inestimable. On creusa, on gratta, on fouilla, on cimenta. La guerre n’arrêta pas les travaux. Et au début de 1946, le théâtre romain retrouva son visage romain, avec sa scène, sa « cavea », ses colonnes mutilées, et ses gradins en schiste porphyroïde rejointés.

L’inauguration de cet extraordinaire lieu scénique eut lieu le 29 juin 1946, en plein jour, le Maire ayant récusé toute lumière artificielle comme sacrilège. En cet après-midi, le théâtre de la Sorbonne joua « Les Perses » d’Eschyle, et Édouard Herriot prononça une allocution de haute tenue dont on éprouve plaisir à citer un extrait : « Ainsi, dans l’espace de deux siècles qui limite cette ébauche, notre Lyon aura été tout ensemble une colonne de l’Empire Romain, la cellule initiale de la Patrie française et l’un des foyers les plus ardents du Christianisme. Que veut-on de plus glorieux ? Il y a des villes courtisanes qui se donnent au passant à la manière de Corinthe. Il y en a d’autres comme celle-ci, dont la force est faite de labeur et de méditation. Michelet l’a bien vu et bien dit en son volume si peu lu du « Banquet ».De telles cités ne livrent leur âme secrète qu’à une recherche attentive. Mes chers concitoyens, si j’ai ordonné ces fouilles, il y a une dizaine d’années, c’était pour vous révéler à vous-mêmes votre propre grandeur. Une grandeur qui ne s’épuisera pas avec la période romaine. »

Robert de Fragny, « 50 ans de vie culturelle à Lyon », Editions SME - Résonances, Lyon, 1982

Souvenir d’un entretien avec une noble étrangère. En guise de préface, par Ennemond Trillat Programme de la saison 1974

Je vois Monsieur, que votre Théâtre Romain n’a pas de mur. Je connais celui d’Orange, et c’est bien dommage que vous l’ayez démoli.

Ce sont mes ancêtres, Madame, qui ont utilisé les pierres pour construire notre Cathédrale, le pont du Change, le pont de la Guillotière.

Mais l’acoustique, Monsieur, qu’en faites-vous ?

Elle ne s’en porte pas plus mal, Madame. Les Théâtres Grecs n’en ont jamais eu, et le son a sans doute pris l’habitude, pendant trois siècles de domination romaine, de se diriger vers les gradins. Cette bénéfique mutilation nous a valu un théâtre de rêve avec ses jardins enchantés.

Mais qui a fait revivre votre Théâtre ?

C’est Edouard Herriot, Madame. Il aurait aimé que ce fût un sanctuaire réservé aux classiques grecs et à notre théâtre français avec Corneille et Racine. Nous eûmes à notre commission des théâtres des entretiens fort pittoresques quand nous lui demandâmes d’utiliser l’électricité : « Les Romains avaient des torches, Messieurs, et le jour où vous aurez l’électricité, vous finirez par donner la « Veuve Joyeuse ». Vous devrez alors franchir mon cadavre ». Il reprend sa pipe et ajoute en souriant : « Il faut reconnaître toutefois que cette opérette nous apporte de précieux enseignements sur la politique balkanique. Non, mes Amis, je ne veux pas d’électricité... pourrait-on à la rigueur, envisager l’acétylène » (Aketilenos ?)...

Le Théâtre fut inauguré en 1946. En un somptueux crépuscule, Herriot nous offrit une éblouissante improvisation que nous avons pieusement conservée. Alors, dans le plus grand mystère, on lui prépara une surprise. On édifia rue de l’Antiquaille un transformateur alimenté par des câbles qui, comme par hasard, traversaient - invisibles - les jardins du Théâtre. Etait-ce vraiment une surprise quand il vit pour la première fois surgir dans la nuit cette féérique vision d’une forêt enchantée ? N’était-il pas secrètement complice de cet innocent complot ? Le temps a passé et ce XXVè festival aurait plu à Edouard Herriot. Il aurait revécu ces heures solennelles où à Vienne on lui offrit un manuscrit de Beethoven : hommage de l’Autriche à son illustre historien. Pour lui et pour nous, l’Hymne de la IXème symphonie est bien ce « sanctuaire où tous les hommes deviennent frères ». En ce monde où la violence explose, le message Beethovenien d’espoir sera notre refuge.

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Grand théâtre © Valentin Cuyl